Quelques citations de Marie Frering Marie Frering - bannière
Poésie de chaman
Un ouvrage
de Besik Kharanaouli
traduit du géorgien
par Marie Frering
et Omar Tourmanaouli

Quidam éditeur, 2010
150 pages, 16 euros
ISBN 978-2-915018-44-8
Commander le livre

Critique

Poésie de chaman

par Veneranda Paladino
Les dernières nouvelles d'Alsace, 10 mars 2010


Des montagnes orientales de Géorgie, autour de Tianeti, parvient la voix du grand poète Besik Kharanaouli. Son visage s'ouvre tel un paysage parcheminé aux lèvres minces surlignées d'une fine cicatrice, au roc aquilin. Parce qu'il est l'altérité sous notre regard, le visage est paysage et c'est en face du paysage comme du visage que l'humanité, dans sa capacité à marquer le monde, rencontre le problème éthique, la lutte du bien et du mal : caresser ou saccager.

Cette lutte immémoriale, le long des sentiers rocailleux, Besik Kharanaouli l'expérimente depuis l'enfance. N'est-ce pas lui qui court après le fou et qui se mue en Besik-Besarion ? Ce héraut ontologiquement libre de créer car « il voit, voit plus, beaucoup plus qu'une plume ne peut écrire ».
A quelque soixante-dix années, Besik Kharanaouli bénéficie aujourd'hui d'une reconnaissance nationale - on lui a décerné le prix d'Etat -, pourtant l'écrivain n'a sacrifié en rien l'exigence d'un art poétique qui fut l'enjeu d'une vie vouée à dire l'humaine condition et les mystères de l'âme, habité comme envoûté par une langue originale qui dit les éperons rocheux, les montagnes de l'orient géorgien. Terre de contrastes où paganisme et christianisme ont célébré leurs noces, carrefour où convergent des Perses, Byzantins, Romains, Ottomans, Arabes, Mongoles, Russes et Soviétiques.
Sous l'ère soviétique, Besik réinvente, revitalise la poésie géorgienne, émancipe sa plume de tout formalisme alors en vigueur. Les pros comme les antisoviétiques ne goûteront guère l'apparition de ce nouveau mouvement littéraire appelé ironiquement « verlibriste ». Ces vers libres accueillent des mots vernaculaires aux tonalités et accents montagnards, saisissent la nature sans lyrisme. Dans cet orient, la poésie scande la vie quotidienne, on chante, on rime aux champs, aux veillées funèbres, lors d'interminables joutes poétiques.
Du Livre d'Amba Besarion (éd. Quidam), s'élèvent toutes ces voix, elles recomposent l'intégralité d'un monde en fragments qui renoue avec les origines. A partir de la forme simple et condensée de la maxime, de l'adage, du haïku, Besik tente d'accomplir l'ambitieux projet de dire « l'aventure humaine sans rectification, dépourvue de sens ; la vie de l'homme quand il n'est personne, quand il n'est rien, quand il est lui-même ».
Si le poète ne fait que traduire ses propres visions, Marie Frering et Omar Tourmanaouli - tous deux écrivains installés à Strasbourg - ont adapté en français la langue de Besik dans un mouvement de compréhension réinvestie par le rêve. Comme si Le Livre d'Amba Besarion avait chamanisé les passeurs de langues.