Un ouvrage
de Besik Kharanaouli
traduit du géorgien
par Marie Frering
et Omar Tourmanaouli
Quidam éditeur, 2010
150 pages, 16 euros
ISBN 978-2-915018-44-8
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Signes de Besik Kharanaouli
par Veneranda Paladino
Les dernières nouvelles d'Alsace, 27 février 2010
Peu de romans, peu de poésie nous parviennent de Géorgie, où le mur du silence tombe graduellement : la voix de Besik Kharanaouli porte enfin jusqu'à nous.
C'est à l'âme qu'il parle, d'un temps ancien d'où remontent des vagabonds, tel Amba Besarion.
Besik Kharanaouli a passé son enfance dans un coin montagneux de la Géorgie orientale, lieu de syncrétisme du paganisme et du christianisme. Longtemps les chants populaires, les prières qui célèbrent encore aujourd'hui les cultes païens, les légendes s'y transmettaient de génération en génération.
Lieu de transition entre l'Orient et l'Occident, la Géorgie, toujours convoitée, a connu l'emprise perse, byzantine, romaine, ottomane, arabe, mongole, russe, soviétique, sans diluer ses particularités mais en agrégeant ces multiples influences.
Comme l'on sait, les enjeux géopolitiques n'ont pas faibli et la guerre de l'été 2008 en rappela la virulence.
Du monde de Besik Kharanaouli s'échappent tant de polyphonies - vision d'un moine ascète, monologues d'un enfant, pensées confuses d'un vagabond -, tant d'attentions à la nature :
« La rivière court, l'homme pense et crée. »
Dès les années 50, il renouvela la poésie en y introduisant des vers libres, renonçant au maniérisme et au pathétique littéraires en vigueur. C'est une littérature « non engagée », de veine fabuliste aussi inacceptable pour les pro- que les anti-soviétiques.
D'autres ont glissé entre les lignes leur aversion du pouvoir, allant jusqu'à faire l'éloge de l'indépendance.
Le Livre d'Amba Besarion (Quidam Éditeur) n'a ni fil conducteur, ni appât pour embrigader le lecteur, parce qu'il dit « seulement l'aventure sans rectification, dépourvue de sens : la vie de l'homme quand il n'est personne, quand il n'est rien, quand il est lui-même ».
Modeste et fabuleuse ambition, qui avance en aphorismes, apophtegmes, adages et haïkus.
Extraits exaltants : « Le poète sent sans cesse qu'il est quelqu'un d'autre, c'est pour ça qu'il essaye de ressembler aux autres. »
À l'école de « verslibriste » qu'il forma aux côtés de Tedo Bekishvili, Mamuka Tsiklauri sait que « le fou voit, voit plus, beaucoup plus qu'une plume ne peut écrire ».
La langue géorgienne, comme le basque d'ailleurs, appartient au groupe des langues ibéro-caucasiennes, mais seul le géorgien possède un alphabet spécifique. Deux genres coexistent, l'animé et l'inanimé qui agissent la mythologie si riche et si particulière qu'a notamment étudiée Guiorgui Chervachidze. Pour la traduction du Livre d'Amba Besarion, l'écrivain Omar Tourmanaouli a remanié une version initiale avec la strasbourgeoise Marie Frering afin de rendre en français et le plus justement l'âme du texte de Kharanaouli.
On doit d'autres adaptations françaises de la poésie en ancien géorgien à Bernard Outtier, spécialiste des littératures caucasiennes.Encore aujourd'hui, la scolarité au lycée français de Tbilissi demeure un gage de grandes éducation et culture, il arrive souvent que l'on vous aborde dans la langue de Molière au coin des rues de la capitale. Du Livre d'Amba Besarion, on garde précieusement en mémoire que « ça, c'est la terre, pas la patrie / ça, c'est le lieu, pas la maison / ça, c'est l'habitude, pas le désir ».