Que savons-nous de l’importance de l’écrit pour l’autre ?
La plupart du temps rien ou pas grand chose et ceci pour la bonne raison que l’importance de l’écrit pour quelqu’un peut se loger à des endroits tout à fait inconnus de nous.
Une récente étude historique décrivant les objets trouvés sur de pauvres gens, chemineaux morts de froid, de faim ou de noyade dans les campagnes du XVIIIème siècle, nous fait découvrir qu’ils portaient sur eux des bouts d’écrits. Ainsi ces gens, pour la plupart illettrés, avait un rapport à l’écrit, portaient sur eux ces traces illisibles pour eux mais lisibles pour l’autre.
« Des signes écrits que sans doute eux-mêmes ne savaient pas bien déchiffrer, mais à propos desquels ils n’avaient aucun doute : ces billets étaient devenus des aveux de leur vie, le désir de n’être point abandonnés à l’anonymat, une volonté de se dire ou plutôt d’être dits, confirmés dans quelque chose qui, même s’il existait peu, existait. » (in Le bracelet de parchemin d’Arlette Farge)
Partons donc de cet exemple extrême pour interroger autrement l’importance et la valeur possibles de l’écrit. Posséder des papiers écrits pourrait prendre valeur de relation à la communauté humaine, l’écrit fixé sur le papier pourrait bien au départ avoir moins d’importance que l’ensemble papier plus trace écrite. Là nous touchons à la question de l’expression de soi par l’écrit. On a souvent tendance à prendre l’atelier d’écriture comme un atelier d’expression écrite. Pour ma part il me semble plus intéressant de le considérer comme un atelier de rapport à l’écrit.
Je me souviens d’un SDF, un gars de la route qui venait chez moi pour que je l’aide à écrire des courriers ou à remplir des papiers. Lorsqu’il repartait il m’envoyait des cartes postales, mon adresse maladroitement tracée, l’espace de la correspondance était rempli de soleils, cœurs, fleurs… Mais il m’écrivait, n’est-ce pas ? On sentait son plaisir à « écrire ».
Pour beaucoup de personnes passées par une scolarité ordinaire, l’écrit représente aujourd’hui presque un tabou, « c’est pas pour nous », on pourrait entendre « c’est pas à nous ». L’atelier d’écriture, en considérant comme un geste d’écriture le rapport même à l’écrit, s’inscrit en premier dans une réappropriation de l’écrit par le plaisir de faire, de produire soi-même des papiers sur lesquels quelque chose est écrit.
Partant de là le champ est ouvert, à l’écriture et jusqu’à l’expression par l’écriture.
Ecrire est un travail, pas un divertissement. Ecrire convoque la vie présente en soi.
L’atelier d’écriture ouvre les dimensions du langage, réintroduit des mots hors de l’utilitaire, interroge la précision de ce qu’on cherche à exprimer, et puis donne une place à l’imaginaire, à un autre réel. On pourrait dire qu’écrire est une façon de mieux entendre.
Marie Frering